Débat parlementaire sur la politique africaine de la France : aller au-delà d’un nouvel aggiornamento de façade

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LIBREVILLE, 26 novembre (Infosplusgabon) - Suite à la promesse faite par Emmanuel Macron aux chefs de partis politiques fin août à Saint-Denis, les députés puis les sénateurs vont débattre ce soir de la politique africaine de notre pays, sans autre objectif que de donner l’illusion de tirer les leçons du rejet populaire croissant de la France en Afrique. Pour l’association Survie, qui a contribué à faire connaître la Françafrique et décrypte ses évolutions, l’enjeu est de sortir enfin d’un schéma de perpétuation du néocolonialisme français par des adaptations de façade.

Patrice Garesio, co-président de l’association Survie, explique : « Il faudrait que les parlementaires français sortent enfin des clichés éculés sur l'amitié franco-africaine, sur le besoin ou l'envie de France, dont il a encore été tellement question à l'occasion d'un récent rapport d'information à la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale... Si le souhait est de reconstruire une relation équilibrée, comme cela est régulièrement martelé, il faut commencer par cesser toute ingérence : le retrait de l'armée française et la sortie du franc CFA sont nécessairement des préalables, le reste n'est à ce stade que de l'habillage. »

Présenté en commission des Affaires étrangères de l’Assemblée le 8 novembre, le rapport d’information de Bruno Fuchs et Michèle Tabarot [1] a été perçu par les députés Renaissance comme trop critique de la politique africaine d’Emmanuel Macron, au point de s’abstenir lors du vote. Ce rapport se contente pourtant de quelques constats d’évidence, comme d’expliquer que « la France agit encore, en Afrique francophone, comme si elle se trouvait dans son ancien pré-carré, perpétuant des attitudes et des réflexes dépassés et clairement contre-productifs » (p.112). Mais ceux-ci sont assortis de réflexions emblématiques de la pensée coloniale qui imprègne encore le débat politique en France. Ainsi l’un des rapporteurs regrette-t-il « que presque aucun ambassadeur ou consul de couleur ne soit en poste en Afrique » (p.63) tandis que le rapport appelle «  les rédactions, en particulier des médias de l’audiovisuel public, (…) à mieux mettre en valeur les actions de la France et à ne pas donner de la matière aux critiques envers notre pays, comme cela a pu être le cas concernant le coup d’État au Niger, par exemple » (p.112). Au final, le rapporteur le plus réformateur, Bruno Fuchs, appelle à « en finir avec les "irritants" pour fonder un nouveau partenariat sincère » (pp.112-125) : un appel au changement de posture, forcément bienvenu, mais qui ne semble avoir pour objectif que de maintenir la capacité d’influence française, une fois de plus.

Thomas Borrel, porte-parole de Survie et codirecteur de l’ouvrage collectif Une histoire de la Françafrique. L’Empire qui ne veut pas mourir (Points Histoire, 2023), le rappelle : « L’analyse historique des relations franco-africaines montre que la capacité d’adaptation est une caractéristique majeure de la Françafrique, dès ses prémices : à chaque fois que le colonialisme puis le néocolonialisme français ont fait face à une contestation importante, la crise a débouché sur des réformes permettant de neutraliser la critique, par l'image de changement qu'elles renvoyaient, et donc de préserver l'essentiel du pouvoir d’ingérence français. »

Pour l’association Survie, ce débat parlementaire sans vote ne doit être que le début d’un processus de décolonisation, en panne depuis des décennies [2] : celui-ci devrait commencer par la fixation d’un agenda clair de retrait militaire de l’armée française d’Afrique et de sortie du franc CFA.

1. M. Bruno Fuchs et Mme Michèle Tabarot, Rapport d’information sur les relations entre la France et l’Afrique, commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, 8 novembre 2023.

[2] Ce propos est développé dans une tribune collective avec plusieurs personnalités ouest-africaines publiée ce jour sur le site de Mediapart, «  Il nous faut sortir le processus de décolonisation de l’ornière ». (Source Association Survie).

 

 

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