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Côte d'Ivoire : Une nouvelle enquête révèle que les exportations de fèves de cacao vers l'UE depuis la Côte d'Ivoire peuvent être attribuées à des terres déboisées au Libéria voisin

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LIBREVILLE, 24 avril (Infosplusgabon) - A l’occasion d'un événement majeur qui se déroule aujourd’hui à Bruxelles, les auteurs d'une enquête révèlent que des entreprises s'approvisionnant en cacao en Côte d'Ivoire alimentent la destruction des forêts du Libéria voisin.

 

Les conclusions de l’enquête de terrain présentée par Bakary Traoré, représentant de IDEF, soulignent que les mécanismes de traçabilité des entreprises sont défaillants et ne pourront, en l’état, respecter le nouveau règlement de lutte contre la déforestation, publié au Journal Officiel de l’Union européenne le 9 juin 2023. A leur place, les enquêteurs insistent sur la nécessité de mettre en place un système de traçabilité national robuste et transparent, pour l’ensemble du territoire ivoirien.

« Il y a actuellement en Côte d’Ivoire un travail en cours pour mettre en place un système national de traçabilité. Avec ce système, toutes les parcelles de Côte d'Ivoire seront géolocalisées et les producteurs enregistrés. Une carte de producteurs avec un système de code barre permettra aussi de savoir ce qu'une exploitation peut produire et de suivre ses ventes. Notre enquête démontre l’importance d’accélérer ce travail entamé par les autorités ivoiriennes », explique Bakary Traoré, directeur exécutif de l’ONG ivoirienne IDEF - Initiatives pour le développement communautaire et la conservation de la forêt – et principal auteur du rapport. « Les systèmes actuels de traçabilité sont mis en place, et contrôlés, par les entreprises du secteur du chocolat. Ils sont peu transparents et notre enquête a constaté qu’ils étaient défectueux. Pour résoudre le problème et respecter la nouvelle réglementation européenne, les négociants en matières premières vont devoir changer leur approche. »

La demande de fèves de cacao est en plein essor partout dans le monde. Avant que ces fèves ne soient transformées en chocolats habillés de feuilles d'argent ou d'or pour le plaisir de milliards de consommateurs, elles doivent passer par un marché complexe composé de nombreux intermédiaires entre les petits producteurs de cacao, très mal rémunérés, et les revendeurs.

Un monde qui a longtemps bénéficié d’une grande opacité. Avec une conséquence majeure : des milliers d'hectares de forêts détruits au profit des plantations de cacao.

Aujourd’hui, l’Europe a franchi une étape décisive avec l’adoption en juin 2023 du règlement européen relatif aux produits liés à la déforestation et à la dégradation des forêts (RDUE). En décembre 2024, il sera interdit d’importer et de commercialiser des fèves de cacao ayant été récoltées, après 2020, sur des parcelles déboisées pour en faire une plantation.

Ce règlement est une chance unique de régler les problèmes historiques de déforestation du secteur du cacao, qu’industrie et systèmes de certification n’ont jamais réussi à résoudre de manière volontaire.

La Côte d'Ivoire est le plus gros producteur historique de cacao au monde avec un client privilégié : l'Europe qui absorbe 75% de la production de ce pays d'Afrique de l'Ouest. Il fournit 90 % des importations de la France et 70 % de celles de l'Allemagne.

Mais des années durant, les plantations de cacao se sont développées au détriment de la forêt, contribuant largement à sa destruction.

À mesure que la terre devenait moins productive, les agriculteurs défrichaient une autre parcelle forestière et replantaient des cacaoyers. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : de 16 millions d'hectares au début du XXe siècle (source REDD+) la forêt ivoirienne est tombée à 7,85 millions d'hectares en 1986. Et quand le gouvernement met le holà en 2020, elle ne couvre alors plus que 2,9 millions d'hectares.

Comme le démontre l’enquête, cette situation pousse alors les producteurs ivoiriens à migrer vers les terres fertiles du Libéria voisin, pays qui abrite plus de la moitié des forêts tropicales restantes en Afrique de l’Ouest. Conséquence de cette migration, dans les trois villages du Libéria ciblés par le rapport, les habitants expliquent que pas moins de « 183 producteurs ont été accueillis ces dernières années, dont 60 pour la seule période de décembre 2023 à janvier 2024 ».

Non seulement une nouvelle déforestation est à l’œuvre mais, en raison du manque d'infrastructures qui permettraient aux agriculteurs d'exporter leurs fèves du Libéria, celles-ci, une fois récoltées, sont renvoyées à dos d’homme vers la Côte d’Ivoire.

Les enquêteurs ont alors pu constater que les fèves du Libéria étaient facilement mélangées à la production locale, remplissant indifféremment les sacs destinés à la vente courante, mais aussi ceux bénéficiant d’une certification, réservés à l’exportation. Un système pourtant censé empêcher la tricherie et l'importation de fèves en provenance d’autres pays.


Dans ce contexte, les enquêteurs insistent sur la nécessité de mettre en place un système de traçabilité national transparent et robuste, pour l’ensemble du territoire ivoirien, de sorte que les exportateurs abandonnent leurs systèmes individuels. En cartographiant l’ensemble des parcelles de production et en ayant une vision complète de leur utilisation, ce système national permettrait d’éviter de facilement de « blanchir » le cacao issu de la déforestation au Liberia.

Les enquêteurs appellent aussi l’Union européenne à mettre en place des contrôles robustes dans le cadre de la diligence raisonnée prévue par le RDUE, qui permettront aussi d’endiguer le phénomène.

« L’industrie du cacao s’est engagée à mettre un terme à la déforestation, notre enquête démontre que le compte n’y est toujours pas. Le règlement de l’UE sur la déforestation constitue une opportunité historique d’enfin honorer cet engagement. La meilleure manière d’y parvenir est de mettre en œuvre un système de traçabilité national qui couvre l’ensemble du secteur, au lieu d’une approche parcellaire émanant de chaque entreprise. Nous appelons les négociants, les certificateurs mais aussi les grandes entreprises du chocolat à se joindre aux discussions et à s'engager en faveur d’un système national de traçabilité ivoirien. » insiste Bakary Traoré.

« De nombreuses entreprises prétendent agir pour une meilleure durabilité du cacao, mais notre rapport d’observation indépendante montre que la réalité sur le terrain est bien différente des grandes campagnes de communication destinées aux consommateurs européens. En fait, les grandes entreprises ont peur de perdre leurs avantages et un accès à un cacao bon marché. Elles s’arrangent bien avec le système inefficace qui a fonctionné jusqu'à maintenant et qui ne fait que produire de la pauvreté des millions de productrices et producteurs. Cela ne peut continuer. » termine Bakary Traoré.




FIN/INFOSPLUSGABON/ART/GABON2024

 

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