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« La crise au Sahel est l’occasion pour la France de se poser une question fondamentale : quels sont ses intérêts en Afrique ? » ( par Coumba Kane)

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LIBREVILLE, 28 septembre (Infosplusgabon) - Le Journal  Le Monde  dans  sa livraison du 27 septembre a  publié un article de  haute portée intitulé  : « La crise au Sahel est l’occasion pour la France de se poser une question fondamentale : quels sont ses intérêts en Afrique ? ». Sous  la  présidence  d'Emmanuel Macron, tout semble se  détériorer en Afrique  Subsaharienne, la jeunesse africaine plus consciente est à  l'assaut d'une meilleur liberté et rejette en bloc  les accords signés dans  les années 60 entre la  France et  les premiers  chefs d'Etat africains dont les pays ont acquis les indépendances  à  cette  époque;  accords orientés vers  la  sauvegarde des intérêts de l'ancien colonisateur, introduction du Franc CFA, une  monnaie  qui  piège les anciennes colonies et qui  régule et  mine sur  le  long  terme  le  réel  développement des pays africains. Paul-Simon Handy, directeur régional Afrique de l’Est de l’Institut d’étude de sécurité (ISS)  décortique la situation. Il est interrogé par Coumba  Kane.

Deux mois après le coup d’Etat au Niger qui a conduit au renversement du président élu Mohamed Bazoum, la France a annoncé, dimanche 24 septembre, qu’elle retirerait, d’ici à la fin de l’année, ses troupes positionnées dans le pays.  Une décision qui met fin au bras de fer engagé avec les militaires au pouvoir à Niamey, mais qui « révèle les contradictions de la politique africaine de la France », selon Paul-Simon Handy, directeur régional Afrique de l’Est de l’Institut d’étude de sécurité (ISS) qui analyse les raisons du revers français.

Après le retrait du Mali et du Burkina, le départ annoncé des soldats français du Niger est-il un échec politique pour Paris ?

Paul-Simon Handy C’est en tout cas un retrait humiliant. La posture intransigeante d’Emmanuel Macron, partisan d’une ligne dure contre les putschistes depuis le début de la crise, n’augurait que deux issues : le clash avec les militaires nigériens ou un départ forcé. Le soutien au président Bazoum était légitime, d’ailleurs l’Union africaine (UA) et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) sont sur cette ligne. Mais quand il y a un changement de régime, fût-il illégal, il faut faire preuve de réalisme, au-delà de la réprobation. Bien que louable, la posture française a péché par une absence de pragmatisme politique et diplomatique.

Qu’est-ce que cette crise révèle de l’état de la politique africaine de la France ?

Ses contradictions flagrantes. La France affirme être intervenue militairement au Sahel pour lutter contre le terrorisme à la demande des autorités et non pour protéger des présidents, comme ce fut le cas à l’époque de la « Françafrique ». Mais, quand les putschistes lui ont intimé de retirer ses troupes, elle a voulu sauver le fauteuil présidentiel du chef d’Etat nigérien renversé. Finalement, Paris a perdu sur les deux fronts : elle n’est plus présente pour lutter contre le terrorisme et elle a échoué à aider un dirigeant considéré comme l’un de ses derniers alliés au Sahel.

Ce retrait marque-t-il un tournant dans la politique africaine de la France ?

Oui, et c’est l’occasion pour la France de se poser des questions fondamentales : quels sont ses intérêts en Afrique ? Comment justifier la présence de bases militaires aujourd’hui ? Pour protéger qui ? La France doit apporter des réponses claires, au-delà d’un discours moralisateur sur la défense de la démocratie, lui-même pétri de contradictions. On veut consolider l’Etat de droit tout en défendant parfois des régimes controversés, comme au Tchad. La France se montre plus pragmatique dans la région anglophone où elle assume ses intérêts économiques et stratégiques. C’est ce qu’il faudrait envisager dans les pays francophones.

Que peut tirer la junte nigérienne comme bénéfice du retrait français salué comme une « victoire » ?

Absolument rien. Les putschistes manquent totalement de lucidité politique. Ils ont réussi l’exploit de se fâcher avec des pays voisins, l’Union africaine, la Cedeao. Leurs seuls alliés – le Mali, la Guinée et le Burkina Faso – sont des régimes parias et putschistes. L’alliance avec Bamako et Ouagadougou est, à ce titre, ridicule. Une addition de faiblesses ne crée pas une force. Comment des Etats qui ne parviennent pas à bouter hors de chez eux des groupes extrémistes violents seraient-ils capables de devenir une force commune ?

Est-ce néanmoins une victoire en politique intérieure ? Ces dernières semaines, les manifestations contre la présence française ont réuni des milliers de personnes à Niamey…

Oui, la junte a réussi à galvaniser un peu plus l’opinion publique nigérienne. C’est nécessaire pour asseoir sa légitimité. Mais ce soutien populaire est fragile, car les répercussions des sanctions de la Cedeao vont dangereusement affecter la vie quotidienne des Nigériens. Il y a déjà des pénuries notables. Et la Cedeao ne semble pas prête à céder sur les sanctions.

Comment expliquer la discrétion actuelle de la Cedeao qui, dès les premiers jours du coup d’Etat, avait menacé d’une intervention militaire et lancé un ultimatum ? Est-ce la crainte de susciter un mécontentement populaire dans les pays qui ont défendu cette option, notamment le Nigeria, le Sénégal, la Côte d’Ivoire ?

La Cedeao n’a jamais estimé que la voie militaire était l’option privilégiée. Elle a cependant commis une erreur en évoquant cette piste très tôt. Son premier communiqué indiquait qu’elle était prête à user de « toutes les options, y compris militaire ». Cette incise a été instrumentalisée par la junte pour galvaniser ses troupes et les opinions publiques nigériennes et africaines sur le thème « des Africains veulent attaquer d’autres Africains ». Pourtant, la Cedeao n’a fait que dire ce que prévoyaient ses textes en cas de rupture du processus constitutionnel.

Cette vague de rejet de la présence militaire française au Sahel peut-elle s’étendre à d’autres pays du continent ?

Ce qui est sûr, c’est que la zone francophone est traversée par une lame de fond qui mêle répulsion et attirance. On insulte la France sur les réseaux sociaux le soir et, le lendemain, on demande un visa à l’ambassade de France. On dit soutenir Vladimir Poutine mais on ne va pas tenter de migrer en Russie. Il y a une forme de schizophrénie symptomatique d’un moment postcolonial qui n’est pas achevé.

Les opinions publiques et certains politiques africains ont une vision biaisée de l’influence de Paris : ils lui accordent plus de pouvoir qu’elle n’en a. Accuser la France d’être responsable de tous les maux du continent, comme l’ont encore fait récemment des dirigeants à la tribune des Nations unies, c’est infantilisant. C’est un cache-sexe qui démontre une abyssale incapacité à se penser soi-même et à penser ses rapports avec la France de manière sereine.

Sur le franc CFA par exemple, il n’est pas juste de considérer cette monnaie comme le principal frein au développement économique des pays francophones, sinon un Etat comme la Guinée, qui dispose de ressources naturelles importantes et qui n’est pas dans la zone CFA aurait dû décoller. Ce qui est loin d’être le cas. Ce discours ne fait que dédommager les gouvernants de leurs responsabilités, pourtant écrasantes.

A la tribune de l’ONU, le colonel Doumbouya, chef de la junte en Guinée, a accusé la démocratie « à l’occidentale » d’être source de maux pour les Etats africains. Trente ans après la vague de démocratisation des années 1990, cette rhétorique semble prendre de l’ampleur à mesure que des juntes s’installent au pouvoir…

Le discours de Doumbouya est incompréhensible, car la Guinée n’a connu que des dictatures militaires et civiles. Son premier président Sékou Touré a d’ailleurs axé sa politique sur le rejet de la domination française. Son pays ne s’est pour autant pas développé à la hauteur de ce qu’il aurait dû. L’absence de résultats économiques n’est pas le fait de la démocratie, mais des manquements imputables à la faiblesse, voire à l’absence, de l’Etat. Si ce dernier est incapable d’assurer des services de base sur tout son territoire, comment la démocratie pourrait-elle fonctionner ?

Quand il est arrivé au pouvoir, Emmanuel Macron jouissait d’une bonne image auprès de certains Africains pour qui sa jeunesse et son discours réformateur auguraient un nouveau départ. Or, depuis des années, on constate une forme de rejet dans une frange des opinions publiques africaines. Est-ce le style du président qui est aussi mis en cause ?

Son ton cash – qu’il n’a pas qu’avec les Africains – joue sans doute dans ce raidissement. Emmanuel Macron gagnerait à arrondir les angles quand il s’adresse à des militaires au pouvoir qui ne sont pas des Nobel de diplomatie. Néanmoins, il faut souligner que ses déclarations font aussi souvent l’objet de campagnes de désinformation en ligne. Des propos sont tronqués pour servir un discours contre la France. On l’a vu lors de la conférence de presse avec le président congolais Félix Tshisekedi. Dans cet échange certes inconfortable, Emmanuel Macron a été juste dans ses mots et ses constats, mais sa parole a été sortie de son contexte.

Que reste-t-il de sa volonté de refonder la politique africaine de la France, en se tournant notamment vers la jeunesse ?

Il est comptable d’actions spectaculaires comme le sommet Afrique-France de Montpellier, ou la création de la Fondation pour la démocratie. Mais il ne faut pas oublier qu’une politique étrangère se construit aussi avec des gouvernants. Organiser un sommet en excluant ces derniers au profit des sociétés civiles a été une erreur, car ce ne sont pas ces dernières qui prennent les décisions.

Ce qui importe aujourd’hui, c’est la redéfinition des relations d’Etat à Etat. La France doit sortir d’un mode hystérique et émotionnel et redéfinir de manière très froide ses relations avec les pays francophones en Afrique. Elle n’est plus la puissance qu’elle était en 1960. Elle a perdu de l’influence et il lui faut redéfinir ses relations à l’aune de cette froide réalité pour maximiser ses intérêts en Afrique tout en aidant ses anciennes colonies à sortir de la grande pauvreté.

Aujourd’hui, les Africains peuvent se prévaloir d’autres alliances. La France garde un avantage comparatif dans certains domaines comme l’expertise scientifique sur le Sahel. Les liens culturels demeurent extrêmement forts avec les pays francophones. D’où l’incompréhension qui a suivi l’annonce de la suspension des collaborations avec les artistes du Sahel. Bien qu’il y ait eu rétropédalage, cela a choqué.

Lien de L'article du  Journal  le  Monde :

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/27/la-crise-au-sahel-est-l-occasion-pour-la-france-de-se-poser-une-question-fondamentale-quels-sont-ses-interets-en-afrique_6191286_3212.html

 

FIN/INFOSPLUSGABON/APR/GABON2023

 

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