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09 Septembre 2017
France-Politique-Comité exécutif ministériel
LIBREVILLE, 9 septembre (Infosplusgabon) - Le comité exécutif que Jean-Yves Le Drian a instauré, destiné à restaurer son autorité et celle de son cabinet, est résolu à ne pas laisser l’administration gouverner seule, à l’exact opposé de ce que semblent préconiser le chef de l’État et le Premier ministre, estime Matthieu Caron, maître de conférences en droit public à l’université de Valenciennes.
Un arrêté ministériel en date du 24 juillet 2017 porte création d’un comité exécutif au sein du ministère des Affaires étrangères. Il s’agit d’un nouvel organe politico-administratif, présidé par le ministre en personne, comprenant 3 membres de son cabinet (son conseiller spécial, son directeur et son directeur adjoint) ainsi que les principaux fonctionnaires de son ministère (secrétaire général, inspecteur général et directeurs d’administration centrale). L’arrêté précise que ce comité a vocation à éclairer le ministre quant aux “choix à opérer dans l’exercice de ses attributions”, lesquelles ont été définies par le décret du 24 mai 2017.
Un tel organe de coordination et de pilotage existe depuis 2009 au sein du ministère de la Défense et il semblerait que M. Le Drian, ancien occupant de l’hôtel de Brienne, ait souhaité importer cette structure, qu’il a appréciée, au sein du Quai d’Orsay.
Sans nul doute, la création d’un comité exécutif ministériel a-t-elle d’abord pour objectif d’améliorer l’efficacité du travail intraministériel. Cependant, à y regarder de plus près, elle apparaît surtout comme un moyen pour le ministre de réaffirmer son autorité politique, aussi bien à l’intérieur de son département ministériel qu’à l’extérieur, vis-à-vis du président de la République et du Premier ministre.
La recherche d’une meilleure efficacité administrative au sein du Quai d’Orsay
La création d’un comité exécutif ministériel devrait permettre une meilleure coordination du travail interne au département du ministère des Affaires étrangères car elle consiste en la réunion, au moins deux fois par mois, sous l’égide du ministre, des principaux acteurs politiques et administratifs du ministère. Non seulement cette nouvelle institution intraministérielle s’inscrit dans la continuité de la réforme des secrétariats généraux des ministères initiée par le décret du 24 juillet 2014 en vue de moderniser l’action publique, mais elle vise également à répondre aux objectifs d’efficacité administrative définis par le Premier ministre dans sa circulaire du 24 mai 2017 relative à la méthode de travail du gouvernement.
Contrairement à d’autres ministères, le Quai d’Orsay est pourvu depuis très longtemps d’un secrétariat général, chargé pour l’essentiel d’assister le ministre dans l’orientation générale et la conduite des affaires du ministère, de suivre les questions relatives à l’organisation administrative de celui-ci et de moderniser l’action des services. Dans la plupart des départements ministériels, l’instauration de cette fonction a résulté d’une circulaire du Premier ministre du 2 juin 2004 relative aux stratégies ministérielles de réforme, puis du décret du 24 juillet 2014. Administrativement, la généralisation des secrétariats généraux avait pour ambition d’améliorer la coordination du travail intraministériel et interministériel en centralisant son impulsion. À l’évidence, la mise en place d’un comité exécutif ministériel s’inscrit dans la même veine, celui-ci étant chargé de centraliser “toutes les questions intéressant le ministère” (article 1er alinéa 4 de l’arrêté du 24 juillet 2017), les dossiers à l’ordre du jour devant être préparés par le secrétariat général du ministère (article 2 alinéa 4) et faire l’objet d’une délibération entre les acteurs politiques et administratifs siégeant au sein dudit comité. En clair, il s’agit d’une instance de dialogue qui devrait participer à la clarification les décisions intraministérielles.
De manière encore plus manifeste, l’arrêté du 24 juillet 2017 est en parfaite adéquation avec les objectifs d’efficacité assignés par le Premier ministre au point 3 de sa circulaire du 24 mai 2017. Dans celle-ci, le Premier ministre a adressé les messages suivants à ses ministres : “Vous devez organiser des modalités de travail efficaces avec vos directeurs d’administration centrale (…). Des circuits courts de décision et une bonne circulation d’information doivent permettre de rendre les modes de fonctionnement plus efficaces. Il est nécessaire que vous rencontriez vos directeurs individuellement et collectivement très régulièrement, et que vous vous appuyiez pleinement sur les services placés sous votre responsabilité.” Et le chef du gouvernement d’ajouter : “Je vous demande de préparer, sur la base des orientations fixées par le président de la République, un projet de feuille de route de votre ministère pour les années à venir. Ce projet devra m’être remis pour le 15 juin. Sur cette base, sera élaboré le programme de travail du gouvernement que je présenterai dans ma déclaration de politique générale devant le Parlement. Vos programmes ministériels seront ainsi mis en place et vous fixerez sa feuille de route à chaque directeur d'administration centrale.”
Il va sans dire que, pour remplir de tels offices, un comité exécutif ministériel constitue l’organe idoine. Tout porte à croire cependant que ce ne sont pas uniquement des considérations d’efficience administrative qui ont présidé à la création de ce comité, mais des considérations bien plus politiques.
La réaffirmation par le ministre de son autorité politique par rapport à son administration, à l’Élysée et à Matignon
Une lecture “entre les lignes” de l’arrêté du 24 juillet 2017 laisse supposer que celui-ci a été pris en représailles au décret du 18 mai 2017 relatif aux effectifs des cabinets ministériels, mais aussi à la circulaire du 24 mai 2017, qui ont tous deux tâché d’affaiblir les ministres et leur cabinet au profit des administrations centrales, de l’Élysée et de Matignon.
Les dispositions de l’arrêté marquent nettement l’ascendant du ministre et de son cabinet sur le secrétaire général et les directeurs d’administration centrale dans le pilotage du comité exécutif. L’article 1er de l’arrêté spécifie que le comité peut être réuni à tout moment “à la diligence du ministre” et qu’il appartient à ce dernier d’arrêter “ses grandes directives et les orientations du ministère au vu des délibérations du comité”. Le cabinet du ministre n’est pas en reste puisqu’il revient à son directeur d’établir l’ordre du jour du comité et, en fonction des sujets portés à l’ordre du jour, d’associer aux réunions qui bon lui semble (article 2 de l’arrêté). Enfin, l’article 3 de l’arrêté précise que “le secrétariat du comité exécutif est assuré par le directeur adjoint du cabinet, assisté du secrétaire général”.
Au-delà de cette répartition formelle des rôles, la tenue de comités devrait renforcer politiquement le ministre au sein de son département en renforçant l’approche top-down du circuit décisionnel intraministériel. D’une part, la convocation de comités à intervalles très réguliers devrait faciliter la compréhension de la ligne politique incarnée par le ministre. Car, pour qu’une administration obéisse loyalement, encore faut-il qu’elle comprenne la vision politique portée par son chef – si tant est qu’il en ait une, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas – et que les ordres de celui-ci ne souffrent d’aucune équivoque ni contestation.
D’autre part, à l’aune des comités successifs, le ministre ne pourra qu’être mieux informé des projets en cours, de même qu’il pourra nettement mieux appréhender les tensions, voire les tentatives de résistance au sein de son administration. En somme, grâce au comité, le ministre devrait disposer d’une vision centralisée affinée, à la fois des dossiers et des hommes dont il a la charge.
Mais en affirmant ainsi son magistère politique au sein du Quai d’Orsay, Jean-Yves Le Drian entend sûrement résister surtout à la tentative de dépolitisation de la fonction ministérielle souhaitée par le président de la République, qui a réduit les équipes politiques des ministres au moyen de son décret du 18 mai 2017.
Le comité exécutif que le ministre a instauré, destiné à restaurer son autorité et celle de son cabinet, est résolu à ne pas laisser l’administration gouverner seule, à l’exact opposé de ce que semblent préconiser le chef de l’État et le chef du gouvernement depuis leur prise de fonction. Jean-Yves Le Drian a bien compris qu’un ministre qui veut peser politiquement au sein du gouvernement et résister à l’Élysée doit d’abord et avant tout commander son administration de main de maître. Certains ministres abandonnent leur administration aux hauts fonctionnaires ou ne savent pas se faire obéir ; tel n’est pas le cas, semble-t-il, de M. Le Drian.
Chaque ministre devrait mesurer combien la jurisprudence Jamart de 1936 lui octroie, à l’instar de M. Le Drian, le droit de rester charbonnier chez lui. Du reste, contrairement à une idée reçue, les ministres disposent de nombreux moyens pour ne pas capituler face au couple exécutif : la grève du contreseing ; la temporisation administrative (dans la mise en œuvre des volontés présidentielles si le ministre sait tenir son administration) et, bien entendu, la menace de la démission pour les ministres disposant d’un capital politique important. Si le chef de l’État peut politiquement tout, il ne peut juridiquement rien sans ses ministres, ce que ces derniers oublient trop souvent car ils lui doivent souvent tout.
Somme toute, le fait, pour un ministre, de réunir régulièrement les principaux acteurs politiques et administratifs de son ministère autour d’une même table n’a rien de fondamentalement révolutionnaire. De manière informelle, ce type de rendez-vous se pratique depuis que le gouvernement est gouvernement. Au plan du droit administratif, l’innovation réside davantage dans la formalisation, par voie d’arrêté ministériel, d’une telle pratique intraministérielle.
Sur un plan constitutionnel, cet arrêté est très instructif s’agissant des rapports de force au sein du pouvoir exécutif. Il apporte l’illustration vivante que, de la même manière qu’il existe des tensions entre les acteurs du droit parlementaire, le droit gouvernemental est essentiellement le produit des rapports de force entre différents acteurs politiques et administratifs qui tentent toujours d’accroître le champ de leur autonomie organisationnelle pour mieux asseoir leur pouvoir politique. (Source Acteur Publics).
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