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09 Septembre 2017
France-Politique-Décentralisation
LIBREVILLE, 9 septembre (Infosplusgabon) - Professeur associé à l’université Paris-IV et directeur général du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, Jean-Robert Massimi revient sur l’impact des mesures en direction des territoires annoncées par Emmanuel Macron en juillet, à l’occasion de la Conférence des territoires. C'est ce que rapporte le site Acteurs Publics.
C’est souvent au Sénat que se passent les événements importants pour les collectivités locales, le Président Macron n’a pas dérogé à cette tradition en clôturant la Conférence des territoires le 17 juillet. Comme son prédécesseur, lors des “États généraux de la démocratie territoriale” en 2012, il a exposé en un long discours théorique et programmatique sa vision du monde local et de l’évolution nécessaire de la décentralisation. Il a ainsi confirmé que, désormais, la décentralisation est un acquis fondamental de toute politique nationale ambitieuse et que les collectivités locales participent effectivement à la solution de nombreux problèmes de notre société.
Une doctrine de la décentralisation. Monsieur Macron inscrit les problèmes territoriaux et la décentralisation dans le contexte très large de la mondialisation, source des principaux défis actuels et futurs. L’adaptation à la mondialisation est plus complexe en France du fait de la constitution historico-juridique du pays par l’État, sa vision de l’unité comme uniformité, alors même qu’il est composé de territoires divers. La notion de “territoires”, qu’il avoue employer “faute de mieux” et qui a envahi le vocabulaire actuel, est la manière française de répondre à la dialectique unité/diversité. Déjà, durant le précédent quinquennat, Madame Lebranchu [Marylise Lebranchu était ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique de 2012 à 2014, puis de la Décentralisation et de la Fonction publique jusqu’en 2016, ndlr] évoquait la notion de “différentiation territoriale” pour caractériser les lois Maptam et NOTRe. C’est aussi le moyen de dépasser la stricte notion d’institutions locales qui freine ou fige la diversité souhaitée.
On peut donc considérer, à quelques nuances près, que le président de la République s’inscrit dans cette logique réaliste qui accepte la diversité des territoires et refuse toute uniformisation a priori ; le jacobinisme institutionnel a vécu. Après une phase de décentralisation institutionnelle, inaugurée en 1982, qui a favorisé les libertés locales selon un modèle uniforme, on voit se développer une évolution par les territoires, amorcée par la loi de 1999 et confirmée, renforcée par les orientations du comité Balladur (2009) et ses suites législatives (2010, 2014, 2015).
Monsieur Macron a le même regard critique sur l’histoire de la décentralisation et son “épuisement” que celui de Monsieur Hollande dans son discours d’octobre 2012. Il évoque, à juste titre, l’insatisfaction des Français sur ces réformes “dont on ne voit pas le bout”. Trop de collectivités, trop de catégories de collectivités et établissements publics, trop de doublons entre collectivités elles-mêmes et entre collectivités et État… et même trop d’élus ! Il constate, enfin, que la décentralisation, dans ses diverses phases, n’a pas résolu la question de l’inégalité des territoires, de leur concurrence, de leur attractivité…
Aussi, l’objectif qu’il assigne aux réformes à venir n’est pas “un grand soir institutionnel” mais plutôt des mesures permettant adaptation et simplification pour donner l’“égalité des chances aux territoires”. Pour cela, il parie sur la confiance et la liberté, termes qui s’adressent directement aux élus et acteurs locaux dont il fait l’éloge… tout en rappelant qu’ils partagent la même responsabilité de réussir ; tel est le sens ultime de cette “Conférence des territoires”.
Une nouvelle méthode. La “Conférence des territoires” est l’instrument de cette philosophie, l’illustration de cette confiance affichée et de ce pragmatisme voulu. La décentralisation ne doit plus être un dispositif uniforme et descendant, mais le résultat d’un dialogue organisé, confiant et permanent, “partenarial”. C’est aussi la volonté de renvoyer les élus à leurs responsabilités ; ces responsabilités dont ils se plaignent parfois d’être privés. Peut-on parler d’une forme de “cogestion” État-collectivités de la décentralisation ? De nombreux éléments du discours semblent approuver cette évolution, aussi bien pourrait-on aller jusqu’à évoquer un souhait de “décentraliser la décentralisation”.
Ainsi, le souci de la méthode est important et conditionne la réussite du pacte envisagé par le président de la République, il y reviendra régulièrement dans ce discours, attentif à la manière dont les politiques publiques sont menées.
Des politiques publiques adaptées aux territoires en transition. Même critique, ou tout au moins réticent, à l’égard de la notion de “territoires”, Monsieur Macron s’attarde à décrire leur situation, leurs différences, leurs difficultés. La situation qui prévaut est la “transition” : “Notre temps c’est, en effet, celui des transitions”.
De même que les territoires, les transitions sont plurielles, diverses et constituent le défi principal des politiques publiques, d’État et/ou territoriales.
Pluralité et différentiation des transitions : aménagement et désenclavement du monde rural, transition énergétique, numérique… Ce diagnostic, volontairement non exhaustif, n’a rien de nouveau sinon cette insistance sur la diversité : “ces grandes transitions que nous avons à vivre imposent à l’État non plus de garantir l’égalité parfaite, elle est impossible, l’uniformité rêvée, mais bien plutôt de tenir son rôle et d’assurer une égalité des possibles et des chances et de permettre à chacun des territoires compte tenu de ses contraintes de départ de réussir les transitions qui sont à l’œuvre et font le monde contemporain…”
Ainsi, les nouvelles orientations devront répondre à ce dessein d’égalité dans la différentiation.
Cet objectif implique de revoir les rôles respectifs de l’État et des collectivités : face à des territoires divers et des transitions multiples, “l’État doit lui-même réinventer son rôle… doit désormais agir de façon différenciée”.
Cela se traduit ou se traduira par des mesures concrètes comme la liberté pour les communes de définir les rythmes scolaires, mais aussi par un projet de loi d’orientation des mobilités afin de désenclaver les territoires ruraux. Dans ce domaine, le dialogue doit prévaloir et une instance ad hoc est créée à cette fin, le Conseil d’orientation des infrastructures de transport.
Ce dialogue implique de la part de l’État un discours de vérité, notamment financier : l’État doit dire non seulement ce qu’il veut faire mais surtout ce qu’il peut faire… ou ne pas faire ! Ainsi, il ne devrait plus y avoir de promesses ou de calendriers non tenus, cela valant aussi bien pour le TGV que pour le haut débit. Outre le haut débit et les transports, les centres-ville, le logement et plus globalement le Grand Paris font partie des sujets évoqués par Monsieur Macron.
Pour autant, les champs d’intervention, les priorités définies par le président de la République sont connues et attendues. Cette redondance illustre clairement l’insuffisante action des pouvoirs publics depuis plusieurs années. L’État fixe quelques priorités qu’il s’efforcera de tenir dans un esprit de coresponsabilité : “Pour l’État, vous l’avez compris, le premier enjeu est la lutte contre la fracture territoriale, l’État et les collectivités territoriales doivent travailler de concert pour construire cette cohésion des territoires, favoriser leur complémentarité et organiser les solidarités.”
Monsieur Macron évoque, enfin, la déconcentration des normes : “Je souhaite que nous renforcions la déconcentration et que nous donnions aux représentants locaux de l’État plus de marges de manœuvre.” En un mot, les acteurs de la déconcentration doivent accompagner les différentiations territoriales et y adapter les politiques de l’État. Et ce non seulement dans un objectif de proximité, mais surtout de réduction des normes et circulaires nationales. Au national la stratégie, au local l’adaptation. Nous avons ainsi une esquisse de logique “subsidiaire” certes prévue par l’article 72 de la Constitution, mais qui n’est pas l’usage et encore moins la norme de l’administration française.
Monsieur Macron termine cette présentation des relations État-collectivités par un rappel du rôle du contrôle a posteriori formulé de manière synthétique et critique : “Il y a trop de fonctionnaires des circulaires et pas assez de fonctionnaires qui aident sur le terrain.”
Conscient de l’aspect nouveau de cette méthode Monsieur Macron insiste : “Tout cela, l’État peut et doit le faire. C’est pourquoi il doit consentir à un changement de paradigme complet”. Au total, il s’agit d’une révolution en douceur qui met l’État en demeure d’assouplir ses pratiques et d’accompagner réellement les collectivités décentralisées au service des territoires. Ainsi, la bonne gestion, la dynamique des territoires, sera le résultat de la conjonction des forces déconcentrées et décentralisées. S’il récuse le terme de “coproduction”, qui peut aboutir à une inflation législative, il souhaite de réelles et concrètes coopérations entre l’État et les collectivités.
De manière conforme aux intentions du législateur de 1982, déconcentration et décentralisation sont perçues comme complémentaires et les préfets pourraient “disposer d’un pouvoir d’adaptation locale des règlements”.
Le “pacte girondin”. Si l’État doit adopter une nouvelle posture, c’est pour mieux servir les territoires qui “savent mieux l’organisation qui est la plus pertinente pour eux”. L’évolution que préconise le chef de l’État est corrective, adaptative, car il considère que de nombreuses – trop nombreuses – réformes ont déjà eu lieu et qu’un nouveau cycle législatif serait déstabilisant pour les acteurs locaux. Cela est d’ailleurs conforme aux souhaits de nombreux élus relayés par le président du Sénat. Il rappelle ainsi quelques acquis de la décentralisation : les niveaux de compétences sont clarifiés, les territoires en voie de recomposition, il reste toutefois possible de poursuivre la simplification. À ce titre, Monsieur Macron reste fidèle à ses prédécesseurs qui, tous, avaient souhaité “simplifier et clarifier” les dispositifs existant sans d’ailleurs réussir ni convaincre.
“Je souhaite que nous puissions ensemble simplifier les choses.”
Tout d’abord, l’État doit donner l’exemple en rationalisant la déconcentration d’une part, et en favorisant les regroupements de collectivités de manière souple et libre : “Quand la logique est portée par les territoires et qu’elle correspond à la simplification de l’organisation territoriale, aux dynamiques de bassin de vie, d’emploi, de bassin économique, elle est pertinente.”
Liberté, certes, mais dans le respect de l’égalité territoriale et de la simplification. Les regroupements ne doivent pas entraîner une inflation de structures ou de dispositifs nouveaux. Ainsi, le rôle régulateur, la fonction d’avertisseur de l’État trouve ici toute sa place et Monsieur Macron en appelle à un “pragmatisme collectif” qui permettra d’éviter redondances, concurrences, inégalités…
La simplification du recours au droit à l’expérimentation, inscrit dans la Constitution depuis 2003, mais à vrai dire sous-utilisé, sera le cadre de ce pragmatisme collectif facteur de différenciation territoriale positive. Aussi le président de la République est prêt à “une révision de la Constitution pour faciliter ces évolutions et libérer les énergies”. Il accepte aussi d’expérimenter des délégations de compétences de l’État vers les collectivités, notamment les régions. L’évocation des collectivités d’outre-mer, quoique brève, permet de rappeler – point essentiel – que le monde ultramarin dispose d’une avance certaine en matière d’expérimentation et de différenciation. L’outre-mer devient ainsi un modèle, un laboratoire d’innovation pour la métropole.
Monsieur Macron aborde enfin quelques sujets d’actualité, dont certains peuvent être objets de polémique, comme la réforme de la taxe d’habitation.
Ainsi, la fonction publique territoriale est traitée sous l’angle de la gestion : la possibilité d’une gestion spécifique, partiellement déconnectée des deux autres versants. Vision pragmatique qui correspond aux attentes de nombreux élus et intègre les conditions d’organisation particulières de chaque fonction publique. Cette approche, toutefois, n’est pas sans risques. Risque de surenchère au sein même des collectivités, les régions pouvant souhaiter un régime spécifique différent des communes… ce qui aboutirait à un éclatement certain de la fonction publique territoriale. Risque de limiter la mobilité inter-fonction publique, en instaurant de fait des inégalités de carrière. Mais le chef de l’État n’évoque pas la réduction du nombre de fonctionnaires, sujet qui avait occupé la campagne présidentielle. Prudence politique ? Réalisme technique ? Par ailleurs, la question du temps de travail est abordée dans un souci d’égalité public-privé et conformément aux préconisations de la Cour des comptes.
Potentiellement féconde en polémiques, la proposition de réduire le nombre d’élus locaux est justifiée, ou tout au moins mise en parallèle avec la réduction du nombre des parlementaires. Dans cette revue de quelques excès, le président de la République ne pouvait éviter d’aborder la question des normes, elles aussi trop nombreuses et coûteuses.
Normer la manière de produire les normes peut être un moyen d’alléger le fonctionnement quotidien des collectivités. Aussi la réforme du Conseil national d’évaluation des normes, mais aussi la responsabilisation du législateur concourent-elles à cet objectif de simplification et de confiance a priori. “Vous l’avez compris, la liberté que j’entends redonner aux territoires, celle de s’organiser, de fonctionner, est inséparable de la confiance mutuelle que nous devons nous faire.” Cette confiance réciproque est enfin inscrite dans un contexte plus global, national et européen, “elle repose aussi sur une responsabilité partagée qu’impose la situation financière du pays”.
Le président de la République termine ses propos par deux projets essentiels mais certainement plus polémiques : la recentralisation du financement du RSA et la réforme de la taxe d’habitation. Même si le débat reste ouvert et que Monsieur Macron souhaite prendre le temps de “reposer cette refonte de la fiscalité locale”, nous percevons clairement ses choix et la ligne qui sera retenue.
Nous en sommes convaincus, ce discours se veut “inaugural” pour le quinquennat, le chef de l’État ayant pris le temps de détailler ses objectifs, sa méthode, ses priorités. Mais est-il porteur d’une nouvelle théorie de la décentralisation ?
Après trente-cinq ans de décentralisation, nous pouvons mesurer les continuités, les ruptures et définir le “style” de décentralisation que projette Monsieur Macron. Les grands enjeux sont posés : adaptation à la mondialisation, réduction de la fracture territoriale, mais c’est surtout la méthode qui semble préoccuper le Président.
En revanche, la situation particulière, le fonctionnement de chaque catégorie de collectivités, la démocratie locale ne sont jamais évoqués. Il insiste sur la stabilisation des territoires mais l’organisation institutionnelle ne l’intéresse pas. Il considère, sans doute à juste titre, que les réalités économiques, la dynamique des territoires commanderont l’avenir des collectivités. Il considère aussi que l’arsenal législatif existant, désormais riche et varié, permet de répondre aux multiples situations à venir. Il se situe donc clairement dans une ère “post-décentralisatrice”. Les acquis fondamentaux de la décentralisation et de l’intercommunalité doivent permettre d’aller plus loin, d’entrer dans une nouvelle ère.
Cette ère est clairement celle de la territorialisation des politiques publiques sur fond de différentiation territoriale. Tout le discours insiste sur ces deux priorités qui s’imposent aussi bien à l’État central et territorial qu’aux collectivités décentralisées. Ainsi, l’objectif d’“égalité des chances des territoires” et la méthode de “pragmatisme collectif” ne constituent certes pas une rupture majeure dans l’histoire du monde local, mais cette doctrine permet, en tout cas, de conserver les acquis – les libertés locales – tout en évitant le renforcement des inégalités. (Source Acteurs Publics).
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