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Gabon : Le Bel Immonde ou l’Afrique qui se regarde telle en elle-même
25 Mars 2017
Afrique-Culture-Cinéma
Par Philippe Miazonzama
LIBREVILLE, 25 mars (Infosplusgabon) – Ma rencontre avec Balufu Bakupa-Kanyinda remonte à 1995.C’était l’année où l’on célébrait les 100 ans du cinéma africain. Le symbole était donc tout à fait indiqué pour que le cinéaste panafricain décide que la capitale gabonaise servirait de cadre pour le tournage du film qu’il préparait à l’époque : ‘Le Damier’.
1996 en a vu la réalisation, avec bonheur. C’est à n’en point douter au nom de ce signe que Balufu est revenu à Libreville les grandes vacances de 2003, pour les repérages liés au tournage d’un nouveau film : ‘Le Bel Immonde’, que j’ai l’autre jour eu l’immense bonheur de revoir sur une chaine de télé internationale.
Le Cinéma africain a connu un parcours plutôt contrasté, tout au long du XXe siècle, et en ce début de XXIe siècle. En effet, du film ethnographique avec Jean Rouch, on est passé au film historique avec Sembene Ousmane, avant que les genres ne s’éclatent avec Henri Duparc et Mweze Ngangura.
Quelles que soient les époques pourtant, ce cinéma est resté coupé de son public. Surtout que toutes les salles de cinéma ont partout été transformées en églises. Or le cinéma, peut-être plus que les matières minières, est un puissant outil de développement, dans le sens de l’émancipation communautaire. N’est-ce pas en axant le jeu autour de ‘American dream’ -le rêve américain- que les Etats-Unis d’Amérique ont su se doter d’un fabuleux levier, qui a aidé l’esprit de créativité à se faire pousser des ailes chez les citoyens.
Cette préoccupation à offrir aux peuples africains, des modèles servant de catalyseur dans leur action au quotidien, habite Balufu de bout en bout, dans sa création. N’allez pourtant pas croire qu’il agit de façon prosaïque. L’homme est trop soucieux de qualité, pour emprunter des chemins si communs à regret. Car il s’est d’abord imposé de se doter d’une formation de choix à l’université de Howard, afin d’être en mesure de conter avec méthode ce qu’il se plait à appeler ses ‘berceuses’. C’est-à-dire toute narration constituant la trame d’un film.
Fictions ou documentaires, ses films obéissent avec constance à cet impératif. Lorsqu’on connait suffisamment l’homme, on comprend vite qu’il veut être de ces créateurs qui offriront à l’Afrique enfin, ses Sidney Poitier, Denzel Washington ou Woopi Goldberg.
Ce, pour une réconciliation de ses filles et fils avec eux-mêmes, puisque libérés de tout complexe. Il est vrai que la scène artistique ne pourvoit pas des réponses toutes faites aux infinies interrogations qui naissent dans l’esprit du public, après un spectacle de qualité. Elle a en moins le mérite de les susciter. De sorte que, tel que le préconisait Frantz Fanon qui récusait de battre le fer quand il est chaud, il faudrait au contraire remettre le feu à la carcasse humaine. Peut-être que par auto-combustion on arriverait à un résultat tout à fait inattendu et insolite.
L’Afrique que raconte Balufu dans ses films est une Afrique actuelle, réelle, qui vit ses joies et ses peines. Une Afrique dans laquelle les communautés éprouvent un mal préjudiciable à coller au temps, certes. Elle se bat comme elle peut, au moins. Souvent avec des fortunes douloureuses, pourtant avec en bien de cas une volonté manifeste de s’en sortir, surtout chez le bas peuple.
« Le bel Immonde » symbolise assez parfaitement ce mélange de paradis et d’enfer, de beauté sublime et de laideur insoutenable, qui caractérise l’Afrique d’aujourd’hui. Continent dans lequel les notions de développement, de démocratie, de liberté, de justice et de paix prennent des significations si inattendues. Afrique dans laquelle les intrigues sur fonds de trahison, de cupidité, d’égoïsme et d’égocentrisme amplifient souvent la sidération à l’excès.
Dans le même temps pourtant, elle a produit des visionnaires hors pair à l’échelle mondiale : Lumumba, Nkrumah, Biko, Sankara etc. lesquels, tel l’architecte, ont proclamé d’un trait incantatoire, chacun à son tour, l’édifice à ériger. A l’image de Mandela, ils ont entretenu sur un modèle de témérité, d’intégrité, la flamme de l’espoir.
Une chose est sûre : la bataille du développement de l’Afrique se gagnera avec une forte conscience des repères. Vivement que le cinéma puisse aider à les assoir fermement dans la mémoire collective de ses enfants.
Quelle joie en attendant de voir défiler au fil des scènes, les décors de Libreville, Kango et le Cap Estérias qui agrémentent la trame du premier long métrage de ce cinéaste résidant de longue date à Paris, né à Kinshasa tout juste avant que le Continent entier ne se trémousse au rythme désormais légendaire de « Indépendance Cha-Cha, et qui entre autres est réalisateur de « Wats » et « Afro Digital ».
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