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Gabon : Triomphe de la démocratie bourgeoise ou oligarchique
11 Décembre 2015
Gabon-Dossier-Démocratie-Partie III
Par Frederick Mba Missang*
LIBREVILLE, 11 décembre (Infosplusgabon) - La démocratie bourgeoise née au Gabon au tournant des années 1990 par la cooptation des institutions par le souverain soucieux de préserver son pouvoir et de pérenniser son système, repose et s’appuie sur la souveraineté minoritaire, celle incarnée et exercée par les autorités institutionnelles et le souverain. C’est en effet, une forme de démocratie qui se fait sans le peuple, c’est pour cette raison qu’elle s’oppose à la démocratie populaire et par conséquent à la souveraineté populaire voué à l’intérêt général.
La force d’une telle démocratie tient du pouvoir et de l’autorité que lui assure le prince via les combinaisons politiques qui écartent et excluent le peuple. Par les jeux obscurs des couloirs opaques de l’Etat, elle maintient et inter-change les mêmes acteurs à la tête des institutions. En retour et par reconnaissance, ces institutions galvaudées participent à la longévité politique du souverain. Ce commerce politique contre l’Etat, le peuple et la démocratie, participe au triomphe de la démocratie bourgeoise à l’origine de la longévité politique du souverain au-dessus de la démocratie populaire.
Outre le monopole des institutions, cette démocratie bourgeoise ou oligarchique utilise l’argent comme puissance et acteur démocratique pour corrompre le peuple. Par ailleurs, elle utilise des grands médias pour contrôler et censurer toute information allant dans le sens de ternir l’image du système sur le plan national qu’international. Toutes ces pratiques et méthodes déployées pour régner au sein de la société s’en trouvent explicitées dans le livre d’Hervé Kempf : L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie.
L’auteur constate que : « les puissances d'argent ont conquis une influence démesurée, les grands médias sont contrôlés par les capitalistes, les lobbies décident des lois en coulisses, les libertés sont jour après jour entamées. Nous glissons en fait vers un régime oligarchique : la domination d'une petite classe de puissants qui imposent leurs décisions à l'ensemble des citoyens. Aujourd'hui, ce régime ne vise qu'à maintenir les privilèges des riches au mépris des urgences sociales(…)» .
Le triomphe de la démocratie bourgeoise est une réalité palpable au Gabon. Outre la grogne sociale, elle se donne à voir du point de vue politique, par la forte représentativité du parti au pouvoir (PDG) à l’Assemblée nationale. C’est ce qu’illustre le tableau ci-dessous.
Tableau n°1 : Représentativité des formations politiques à l’Assemblée nationale, 27/02/2012
formations politiques |
Députés issus du PDG |
Députés issus des partis alliés au PDG |
Députés issus des formations politiques de l’opposition |
Total |
Nombre d’élus |
113
|
5 |
2 |
120 |
% |
94.16 |
4.16 |
1.66 |
≈100% |
Source : Assemblée nationale, 2012
Au regard des chiffres susmentionnés dans ce tableau, il ressort que le PDG est largement majoritaire à l’Assemblée nationale. Pire encore, les effectifs cumulés du PDG et de ses partis alliés font de l’Assemblée nationale gabonaise presqu’une chambre monopartite.
En effet, sur les 120 députés que compte cette institution, 118 appartiennent au PDG et ses alliés, soit 98,33%. Les 1.67% restant appartiennent aux partis de l’opposition, l’Union Pour la Nouvelle République (UNPR) et le Parti Social-Démocratique (PSD) totalisent chacun 1 député.
Ce score bourgeois est l’un des meilleurs résultats enregistrés par cette formation politique toujours largement majoritaire à l’Assemblée nationale et même au Senat (1993) depuis 1990. Comparativement en 2006 où ce parti obtint 82 sièges sur les 120 existants, les résultats très en hausse de ce parti doivent non seulement à sa puissance financière, aux logiques néo patrimoniales employées, mais aussi à l’absence véritable d’une opposition fragilisée de l’intérieur par les décès en série des leaders et les manœuvres politiques orchestrées en son sein par le parti au pouvoir.
Toutes ces raisons ne vont pas sans conséquences sur l’engagement du peuple de plus en plus découragé et désintéressé par la politique qu’il qualifie de « mensongère» et la démocratie populaire « d’illusion». Au fond, ce désintéressement du peuple acteur principal de la démocratie, symbolise à la fois leur désespoir et même leur pessimisme de voir la démocratie populaire triompher sur la démocratie bourgeoise dans ce contexte gabonais où les instituions appelées à faire le jeu de l’alternance et à contribuer à l’éclosion de la démocratie populaire ont déjà choisi leur camp.
« Point utile de se faire enrôler, que je vote ou pas Ali Bongo va toujours passer (…) » , « il est utopique de penser à l’alternance avec des institutions acquises pour Ali Bongo et son système (…), il ne faut pas perdre le temps en allant se faire inscrire dans les listes électorales qui seront censurées par le système » .
« Ce n’est pas le peuple qui va voter Ali Bongo en 2016, ce sont les institutions, une fois qu’on l’a compris on ne perd plus son temps d’aller se faire enrôler » . Doit-on conclure à un pessimisme généralisé des citoyens découragés et convaincus que la démocratie oligarchique mourra d’elle-même ?.
(Lire la suite le 12 décembre 2015 : Le peuple malade de la démocratie : désespoir ou espoir ?
Frederick Mba Missang est Docteur nouveau régime en science politique, Santé Publique, Institutions et Politique de défense
FIN/INFOSPLUSGABON/GHP/GABON2015
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