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Gabon : Institutions personnalisées au service d’un homme et de son système
10 Décembre 2015
Gabon-Dossier- Politique- La démocratie malade : les institutions ’’républicaines ’’ contre le peuple-Partie II
Par Frederick Mba Missang*
LIBREVILLE, 10 décembre (Infosplusgabon) - En faveur de la promotion des femmes et de la démocratie, Omar Bongo nomme en 1990 une femme à la tête de la Cour constitutionnelle : Marie Madeleine Mborantsuo. La promue originaire de la province du Haut Ogooué, province natale d’Omar Bongo est une magistrate hors hiérarchie de l’ordre financier. Elle a par ailleurs eut des enfants avec Omar Bongo.
Sa nomination à la tête de la Cour constitutionnelle tient plus des liens affectifs qu’elle entretient avec le prince et non de ses vertus morales et ou encore de ses compétences professionnelles. Sa promotion s’inscrit en effet, dans la logique de ce que l’imaginaire populaire gabonais désigne par « politique de placement ».
Autrement dit, Marie Madeleine Mborantsuo a été placée par Omar Bongo pour assurer et servir les intérêts de son système. En tant que présidente de la Cour constitutionnelle qu’elle préside depuis 25ans, Marie Madeleine Mborantsuo est le cœur et l’axe du Parti démocratique gabonais (PDG-au pouvoir) dont elle assure la longévité politique par le pouvoir constitutionnel qu’elle incarne et dicte pour « la régularité des élections présidentielles (…), leur proclamation (…) et leur validation » .
Mais, dans un contexte politique marqué par l’imbrication des liens d’affinité et des relations interpersonnelles entre le prince et la présidente de la Cour constitutionnelle, il est en effet difficile d’imaginer une certaine transparence dans la délibération des contentieux électoraux et de la validité des élections.
Preuve en réside précisément des irrégularités qui ont entaché les élections présidentielles de 1993, 1998, 2005 et celle anticipée de 2009 dont Omar Bongo et Ali Bongo furent respectivement déclarés élus présidents au détriment de Paul Mba Abessolo du Morena des Bûcherons, Pierre Mamboundou Mamboundou de l’Union des peuples gabonais et André Mba Obame candidat indépendant.
L’arbitraire qui a prévalu dans le choix d’Omar Bongo désigné vainqueur par la Cour constitutionnelle aux élections présidentielles de 1993 et celles de 2005 notamment, fut dénoncé en 2009 par son ancien ministre de l’intérieur André Mba Obame reconnaissant qu’en effet, « Omar Bongo n’a jamais gagné de manière transparente une élection présidentielle au Gabon. En 1993 il a été battu par Mba Abessolo et en 2005 par Pierre Mamboundou (…) je demande pardon aux Gabonais car au service d’un homme, j’ai toujours volé leur vote. Je pense que la présidente de la Cour constitutionnelle et bien d’autres personnes associées dans l’organisation des votes passeront aux aveux et demanderont aussi pardon pour avoir contribué au viol et au vol du vote des Gabonais ».
Aucun autre témoignage ne sera plus édifiant que celui de M. André Mba Obame alors ministre de l’Intérieur et clef de voute de la politique d’Omar Bongo de 1990 à 2009 pour attester l’arbitraire perpétré par la Cour constitutionnelle et le ministère de l’Intérieur dans l’intérêt de sauvegarder le système PDG et la longévité politique d’Omar Bongo.
Bien avant André Mba Obame, Mélanie Soiron démontrait dans une étude récente que la longévité politique d’Omar Bongo au Gabon, tenait aux nombreuses logiques et filiations qui prévalent dans le fonctionnement des institutions. « L’Assemblée nationale est dirigée par la logique d’autochtonie, celle de l’ancestralité [au cœur] du Sénat, tandis qu’au gouvernement se déploie celle de la filiation » .
Loin des pratiques objectives qui ravivent le fonctionnement des institutions républicaines, toutes ces logiques néo patrimoniales participent au revirement institutionnel, perpétuent l’arbitraire et renforcent le pouvoir symbolique du prince.
Ce pouvoir dont seules les institutions personnifiées constituent les supports, s’impose à la société du point de vue pratique, par l’emprise qu’elle exerce sur l’Armée utilisée pour étouffer, contrarier, surveiller et surtout punir toutes manifestations citoyennes visant à revendiquer ou à dénoncer le fonctionnement insinué des institutions sensées assurer la transparence démocratique.
Au Gabon, malgré les efforts consentis par l’Etat soumettant l’armée mise à l’épreuve de la professionnalisation depuis 1999, l’institution militaire reste fortement soupçonnée et contestée par le peuple dans la démocratisation de la société et de l’Etat de droit. En effet, « elle fait le jeu du pouvoir par la violence permanente qu’elle exerce sur les citoyens à chaque manifestation politique légale ou illégale, légitime ou illégitime ».
L’on se souviendra dans ce sens, de la violence exercée par l’armée sur les citoyens en 1993 réclamant la victoire de Paul Mba Abessolo attribuée à Omar Bongo. Même chose pour les élections présidentielles de 2005 et celles de 2009 remportées André Mba Obame.
« Devant la cité de la démocratie le 4 septembre 2009, alors qu’on attendait la délibération de l’élection présidentielle anticipée 2009, l’armée (les Bérets rouges – les parachutistes, Gendarmerie, la GR) nous a intoxiqué avec des bombes lacrymogènes, (…), les assaillants ont fouetté sauvagement les civils et les candidats venus attendre les résultats mains nues » . Le règne d’une armée contre le peuple s’illustre davantage par l’assassinat d’un étudiant, le dénommé Bruno Mboulou Beka mort dans des circonstances non élucidées le 20 décembre 2014 au cours d’un affrontement qui a opposé les citoyens et l’armée dépêchée par le pouvoir pour empêcher la tenue d’un meeting politique autorisé par le ministère de l’Intérieur puis interdit à la veille par ces mêmes autorités.
«L’exécution sommaire de Mboulou participe de la mécanique de dissuasion du despotisme qui gouverne le Gabon. Il est utile pour tout despotisme de répandre la peur dans les cœurs des peuples, pour mieux les soumettre. Sans cette peur incarnée et exercée par l’armée, le totalitarisme disparaît. Il fallait donc tuer Mboulou Beka pour faire reculer la masse de compatriotes muselés et désireux depuis longtemps exprimer publiquement leur indignation contre l’imposture, le parjure, le faux et l’usage de faux et le mensonge qui sont la marque de fabrique du pouvoir politique gabonais » .
L’usage abusif de l’armée devenue comme une machine de peur et de terreur constitue entre autres, l’un des faits majeurs dénoncés par ce propos. Ce même usage est à l’origine du rendez-vous citoyen manqué entre l’armée et le peuple.
Point utile de multiplier les exemples pour s’en convaincre de l’opposition armée-société dans la démocratisation de la société au Gabon, sa proximité et sa soumission au politique laissent penser qu’elle demeure comme une espèce de main agissante pour le politique. A l’instar de plusieurs Etats d’Afrique noire ayant vu leurs outils de force et de violence légitime détournés et confisqués par le politique, le lien trop partisan entre le politique et l’armée au Gabon ne favorise non plus l’appropriation de cet outil de défense par l’Etat qui peine encore malgré les réformes impulsées par la professionnalisation de l’armée à faire de cette dernière une actrice politique neutre et objective .
Plus paradoxal encore, les hautes autorités militaires jugées professionnelles et sensées promouvoir les valeurs démocratiques au sein de l’armée s’illustrent par des actes inciviques et antidémocratiques. En 2009, lors des élections présidentielles anticipées, le général de division Jean-Philippe Ntumpa Lebani, ancien dirigeant du Conseil National de la Sécurité et par ailleurs ancien commandant en second de la Garde Républicaine reconnaissait « avoir versé en liquide, au total 1,4 million de FCFA (2.150euros) aux lieutenants Akandas et Koumbi ainsi qu’au capitaine Oura Amegue(…) pour renforcer l’esprit de corps et fidéliser les hommes en tenue autour d’un candidat » .
Les officiers soupçonnés de corrompre l’armée ici, sont issus du corps des officiers associés au pouvoir décisionnel de l’Etat. Quand bien même ils sont de hauts commis de l’administration sensés montrer le bon exemple, ils utilisent la politique des mallettes pour fidéliser leurs subalternes. De cette manière, ils perpétuent « la corruption comme une tradition démocratique » . L’armée considérée comme une école de la démocratie et des valeurs républicaines, se trouve ainsi être l’une des institutions utilisées contre la démocratie au Gabon. Ce revirement de l’armée utilisée à des fins politiciennes, réduit l’indispensable outil de défense d’un Etat à un « couteau imaginaire auquel on aurait ôté lame » .
La démocratie malade au Gabon, se justifie donc par toutes ces logiques néo patrimoniales qui affaiblissent et atrophient les institutions républicaines devenues comme de simples boites de résonnance politique, incapables de lire objectivement la loi et de s’imposer de manière ferme à la figure symbolique du « Souverain moderne ».
La prégnance du souverain sur les institutions et la subordination des institutions aux ordres du prince, consacrent l’avènement d’une démocratie bourgeoise, autoritaire et ou oligarchique.
*Frederick Mba Missang est Docteur nouveau régime en science politique, Santé Publique, Institutions et Politique de défense
(Lire la suite le 11 décembre 2015 : "Triomphe de la démocratie bourgeoise ou oligarchique"
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