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BURKINA FASO / Transition politique : «Il faut commencer par déstructurer le régime Compaoré» (Sheriff Sy)
21 Novembre 2014
Burkina-Faso-Politique- Sheriff Sy livre sa part de vérité
Par Arnaud Ouédraogo
LIBREVILLE, 21 novembre (Infosplusgabon) - Directeur de publication de l'hebdomadaire Bendré, notre confrère Sheriff Sy était l'un des candidats proposés par la société civile et la classe politique pour diriger la transition au Burkina Faso. Sa candidature, l'actuel président du Faso, Michel Kafando, le lieutenant-colonel Zida à la Primature, la gestion de la transition… voilà des sujets sur lesquels nous nous sommes entretenus avec l'homme. Selon lui, les autorités de la transition doivent s'atteler au plus vite à «déstructurer» le régime déchu.
Vous êtes l'un des candidats malheureux à la désignation du président de la transition. Comment s'est fait votre choix ?
Il y a des organisations de la société civile qui se sont rencontrées pour désigner leurs candidats susceptibles de conduire cette transition. C'est ainsi que certaines ont proposé mon nom et ce n'est qu'après d'ailleurs que j'en ai été informé. J'avais la liberté bien sûr d'accepter ou de refuser, mais j'estime que c'est une marque de considération de leur part. Sans que vous n'ayez demandé quoi que ce soit, quand des gens qui, en votre absence, portent leur choix sur vous, le minimum, c'est d'avoir du respect à leur égard en acceptant. J'ai été aussi proposé par d'autres organisations que sont les partis politiques. Le chef de file de l'opposition a eu à m'appeler pour me dire que l'opposition politique m'a retenu sur sa liste de candidats, et il voulait savoir si je marquais mon accord ou pas. Et je lui ai donné la même réponse qu'à la société civile.
N'avez-vous pas eu quelques appréhensions au regard de l'immensité de la tâche ?
Pas du tout ! D'abord pour moi, comme je le disais, c'est une marque de reconnaissance qui se fonde bien sûr sur quelque chose. Elle se fonde sur mon parcours, sur mes actes, sur mon expérience ; donc pour moi, cela n'avait rien d'extraordinaire étant entendu que je ne conçois pas ce genre de tâches comme les mille travaux d'Hercule. Il suffit seulement d'avoir du bon sens, une capacité d'organisation, une capacité à diriger une équipe de missionnaires. C'est ainsi que je conçois cette tâche.
Vous avez donc été entendu par le Collège de désignation, comment s'est déroulée votre audition, sur quoi avez-vous bâti votre argumentaire ?
Je n'ai bâti aucun argumentaire. De la même manière que vous êtes en train de m'interviewer, je suis arrivé devant un collège de personnes pour qui j'ai beaucoup de considération, qui m'ont dit qu'ils ont un certain nombre de questions à me poser. Et ils me les ont posées.
De quoi s'est-il agi alors ?
Ce comité de désignation, à la fin de mon audition, m'a fait savoir que tout ce qui s'est dit dans la salle entre nous ne doit pas être rendu public. J'ai donc donné ma parole, et comme je suis un homme de principe, je l'ai déjà dit à d'autres confrères, je ne peux pas vous dire de quoi nous avons parlé. Même si je sais que vous l'apprendrez peut-être par d'autres sources.
C'est Michel Kafando qui a finalement été choisi pour conduire la transition. Comment avez-vous accueilli la décision du Collège ?
N'étant pas présent lors de leurs discussions qui ont permis cette décision, je ne peux que respecter ce choix. Que ce soit monsieur Michel Kafando, actuel chef de l'Etat, ou un autre candidat, j'estime que tous, nous avions la capacité d'assumer cette charge. S'il a plu au comité de désigner monsieur Kafando, c'est qu'il a estimé qu'il avait une plus-value qui permettrait de mener cette transition à bien. Et qu'est-ce que vous, moi ou quelqu'un d'autre, qui aimons ce pays-là, demanderions de plus ? C'est une transition d'une année et nous demandons qu'elle soit menée à bon port, qu'elle permette un changement qualitatif dans la gouvernance de ce pays.
Qu'est-ce que vous personnellement vous pensez du président désigné, Michel Kafando ?
Rien ! Absolument rien ! C'est un aîné de loin. Le peu que je sais de lui ou que j'ai lu sur lui m'amène à penser que c'est un homme qui a servi très bien son pays, qui a eu un parcours qualitatif, donc, a priori, je pense qu'il peut et va mener la mission à lui confiée parfaitement. Mais monsieur Kafando, quelles que soient ses qualités, n'est pas un surhomme. Il a la charge d'une transition qui naît d'une crise, il faudrait donc éviter de mettre tout sur ses épaules. Vous comme moi sommes responsables de cette transition. Il faudra qu'au-delà de nos divergences, de nos accords, au-delà de tout, nous voyons l'intérêt supérieur de notre pays et que les uns et les autres accompagnent dans la transparence et dans l'honnêteté monsieur Kafando.
Comment appréciez-vous la nomination du lieutenant-colonel Zida comme Premier ministre ?
Dans la première mouture de la charte de la transition, il était écrit que le président et le Premier ministre doivent être des civils. Cela sous-tendait une certaine philosophie, même si après on a enlevé cette précision dans la charte pour permettre au président de désigner le Premier ministre sans spécifier d'où il vient. Deuxièmement, je crois avoir entendu et lu depuis le 1er novembre que les militaires ont dit qu'ils rendront le pouvoir. Maintenant, avec la désignation de l'ancien chef de l'Etat comme Premier ministre, j'avoue que je me pose un certain nombre de questions. Mais au-delà de ces questionnements, comme je le disais, nous devons tout faire, chacun à son niveau, pour ne pas développer des contradictions secondaires. Nous souhaitons que monsieur Kafando puisse mener sa mission à bon port. S'il s'avère que l'ancien chef d'Etat devenu nouveau Premier ministre peut conduire une équipe gouvernementale, nous disons Al Hamdoulilah. Et c'est plus important que ce que moi, à mon niveau, je peux avoir comme appréciation, parce que mes appréciations sont secondaires pour le moment. Mais s'il s'avère qu'au fil des jours, des mois à venir, les questions secondaires prennent le dessus et deviennent principales, à ce moment chacun de nous, en tant que citoyen, saura quoi faire.
Si vous étiez à la place de Michel Kafando, à quoi vous attaqueriez-vous en priorité ?
Il n'y a pas de priorité. De plus en plus, j'entends les gens dire que la transition est simple parce qu'il s'agit d'organiser des élections. Il faut organiser des élections de façon transparente et équitable avec ce que cela sous-entend. C'est vrai mais c'est faux. La question de l'organisation d'élections en 2015 est une des questions. J'insiste là-dessus. Les questions fondamentales de la transition se trouvent exprimées lors de l'insurrection populaire des 30 et 31 octobre, se trouvent exprimées par les martyrs que nous avons, se trouvent exprimées par les blessés que nous avons. Quand les insurgés sont sortis, ils ont été clairs : ils ont dit : «Blaise dégage !» Et ça veut dire que c'est Blaise et tout son régime qui doivent dégager. Cela sous-entend que la transition doit commencer par déstructurer le régime qui a été construit. Le déstructurer intellectuellement, institutionnellement pour poser les fondements d'une nouvelle société. C'est clair, on ne va pinailler sur ça. Les insurgés ont des attentes. Donc la mission de la transition n'est pas que d'organiser des élections. Quand on dit «Blaise dégage», on entend par là que le régime de Blaise, depuis 27 ans, a commis des crimes de sang et économiques. Il faut dans l'immédiat commencer des enquêtes sérieuses pour chercher les auteurs de ces crimes et que la justice se mette en branle.
Pour vous donc, ce sont les autorités de la transition qui doivent se charger de ces questions de justice…
Elles doivent commencer dès maintenant. Celles qui viendront après novembre 2015 poursuivront. Je vous dis que toutes les questions fondamentales se trouvent dans l'expression populaire des 30 et 31 octobre. Est-ce que votre maison a été brûlée ? Est-ce que ma maison a été brûlée ? Les gens ont brûlé ce qui représente les symboles de l'ancien régime et de ses voleurs et prédateurs. On ne peut donc pas occulter ces questions. Je n'ai pas dit que c'est la transition qui va régler toutes ces questions, mais c'est à elle de les poser.
N'est-ce pas dans cette dynamique que les récents limogeages des DG de la SONABEL et de la SONABHY ont été décidés ?
Pour le moment, je sais simplement qu'il y a des DG qui ont été limogés. Mais je ne sais pas pourquoi ils ont été limogés, et tant que je ne le sais pas je ne peux pas opiner. Est-ce qu'il y a des poursuites qui ont été engagées contre eux parce qu'ils ont commis des fautes graves ? Je ne sais pas. Leur limogeage ne me pose pas de problème, mais pour que je puisse donner mon avis, il faut que je sache ce qu'ils ont fait. Si c'est simplement parce qu'ils ont été nommés par l'ancien régime, ça veut dire qu'il y a beaucoup qui seront limogés, y compris ceux qui limogent. Etant donné qu'eux-mêmes ont été nommés par l'ancien régime. Peut-être que ceux qui l'ont fait ont des dossiers sur ces DG dont nous nous n'avons pas encore connaissance, et quand on saura, on pourra apprécier. Mais je ne souhaite pas qu'il y ait une chasse aux sorcières, j'aimerais que les choses se fassent dans la transparence. Depuis le 1er novembre jusqu'à maintenant, des dignitaires de l'ancien régime ont circulé librement, d'autres ont pris tout ce qu'ils avaient à prendre dans leurs bureaux, certains ont fait évaporer des choses qui les dérangeraient, ont quitté le pays par les voies aériennes normales, et on n'a pas eu besoin d'arrêter qui que ce soit à ce moment là ? Cela me pose problème quand même. Il y avait un minimum à faire qui n'a pas été fait, pourquoi ? Il faudrait que l'on nous donne des explications à ce sujet. De toutes façons, ce n'est pas nous qui avons mis à la bouche du président Kafando la lutte contre la corruption. C'était ses premiers engagements et dans ce sens-là, nous ne faisons que l'accompagner. Les 27 ans du régime Compaoré ne seront pas détruits en 27 jours, ça demande du travail et il faut l'engager pour que les gens retrouvent la paix du cœur et se focalisent sur le développement du pays.
A défaut de la présidence de la transition, accepteriez-vous d'être membre du gouvernement ou du conseil national de transition ?
Pas à défaut ! Je vous ai dit que moi je n'étais pas demandeur de quoi que ce soit. J'estime déjà, sincèrement, qu'ayant été proposé par des partis politiques et des organisations de la société civile, je tiens d'ailleurs à saluer leur entreprise, c'est une grande reconnaissance pour ma modeste personne dans ce pays. Et je rends grâce au Tout-Puissant d'avoir permis cela. Ce n'est donc pas à défaut. Nous n'avons pas attendu aujourd'hui pour exprimer nos convictions. Depuis 1987, nos positions sont connues. Nous en avons subi le courroux des dirigeants de l'époque, nous avons connu la torture, nous avons connu l'exil, nous avons connu de multiples formes de pression. Mais nous avons continué à nous battre, parce que ce pays, nous en sommes un fils et fier de l'être. Notre pays nous a donné beaucoup pour que, au mépris de notre vie, nous ne puissions pas lui retourner ce qu'il nous a donné. Nous ne nous battons pas pour des positions ou des postes. Si au cours de ce combat, notre pays estime qu'à telle ou telle position nous pouvons déposer une brique sur d'autres, nous le ferons, mais ce n'est pas notre priorité. Je n'ai vraiment pas pensé à aller au gouvernement de transition, ça ne fait pas partie de mes préoccupations quotidiennes. Mais si on devait me proposer, vous saurez ma position. (Source : http://www.enqueteur-gn.info/transition-politique-il-faut-commencer-par-destructurer-le-regime-compaore-sheriff-sy-dp-de-bendre)
FIN/INFOSPLUSGABON/VIL/2014
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